Gerhard Schneider, SFA-Auvillar/France
Impuls pour la 1ère rencontre du projet européen "Compétences en marketing pour les intervenants en formation continue (CMCE) du 7 au 10 octobre 2004 à Karlsruhe/Allemagne

Marketing et interculturalité

Le but de cet " impuls " est d'être un point de départ pour la réflexion et la discussion. Un impuls ne prétend pas à la perfection, ni à apporter obligatoirement quelque chose de nouveau. Mais il peut donner envie d'approfondir des connaissances et renforcer des convictions déjà à l'œuvre. Ils peuvent " enfoncer des portes ouvertes " !

1ère thèse


Les sciences économiques ont avant tout une appréhension des théories que l'on pourrait, dans le sens de l'épistémologie, qualifier de " technologique : Les spécialistes de l' économie partent du fait que leurs théorèmes et leurs théories sont applicables partout dans le monde suivis d'un effet partout semblable. Si l'on compare nos manuels européens avec les théories d'origine, la plupart importées d'Amérique, leur application, privée de sens critique, semble être répandue. Cela se manifeste aussi pour notre thème : marketing.

Cette croyance en de telles théories est bien sûr souvent ébranlée dans la pratique. Cela s'est vu en particulier à propos de la crise financière en Asie, et on peut le voir aussi de plus en plus fréquemment lors de la reprise de firmes européennes par des entreprises américaines. Ce faisant on tente, en toute bonne foi, de restructurer selon ces théories des firmes jouissant d'une bonne assise, dans l'attente d'une augmentation de rentabilité. Or le résultat est souvent inverse. Des employés européens expérimentés en matière de marché voient souvent le problème, et sont conscients que les différences des cultures créent la différence entre les marchés européens et américains.

Même à l'ère de la globalisation il n'existe pas de technologie de marketing applicable universellement. Les suites de la globalisation, justement, font que des cultures régionales se réveillent, parfois même des mouvements fondamentalistes, pour se libérer de l'uniformisation et de la colonialisation. - Si le marketing de la culture veut être efficace, il lui faut ne pas perdre de vue le large éventail des cultures, apprendre à les connaître, et les respecter.

Thèse 2

Sur une surface réduite l'Europe abrite une grande variété de cultures et de langues. Même au sein d'une nation il n'existe pas d'unité ; d'où la notion de : Europe des régions. On entend par là ces entités territoriales existant de longue date, et dont les habitants, possédant une culture, une langue et une histoire communes, se sentent différents de leurs voisins. L'Europe des régions n'a pas seulement des antécédents historiques : de tout temps, face à l'influence d'une organisation étatique centralisatrice, l'héritage collectif d'une région et de ses habitants avait dû se défendre. Mais aussi là où il n'y a pas eu de centralisme, et où, durant des siècles, une unité de l'État n'a pu s'imposer face aux particularismes, le régionalisme a ses adeptes. La globalisation renforce ces prises de position dictées par l'affectif.

L'histoire intellectuelle et économique de l'Europe nous enseigne que la " culture européenne " s'est développée à partir de cultures régionales florissantes, qui justement ne pensaient pas " technologiquement". Ceci se montre dans l'influence réciproque des arts et des sciences, et non pour une moindre part dans le rapport étroit entre production et commerce. Il n'y eut, et il n'y a encore, aucune région qui ne possède des produits, des services, un savoir désirables. C'était la qualité de chaque produit régional qui faisait sa réputation et portait ce produit dans le circuit commercial. La publicité n'est devenue nécessaire qu'à partir du moment où l'on a produit plus que ce dont on avait besoin. Mais ce fut toujours le commerce qui fit se rencontrer les gens de culture différente. Lorsque Imanuel Kant , dans son écrit sur la paix perpétuelle voit dans le commerce la garantie de la paix, cela confirme l'expérience que l'Europe a pu faire, sans attendre la création de la Hanse et autres réseaux commerciaux. Même les nombreuses guerres européennes n'ont pu prouver le contraire, du moins aux yeux d'européens optimistes !

Tout cela peut paraître naïf lorsqu'on considère le transfert de la production dans des pays à bas salaires, et la perte de culture régionale et de savoir faire qui en résulte. L'Europe devrait avoir intérêt à aller contre ce courant. Il vaudrait peut-être mieux que les institutions de formation européennes encouragent les échanges et la compréhension des cultures régionales, au lieu de dispenser une technologie de marketing uniforme.

Le marketing de la culture doit redécouvrir le facteur humain, les femmes et les hommes des régions d'Europe, et se consacrer à l'échange des biens culturels. Le marketing de la culture n'est pas possible sans la connaissance et la compréhension des cultures régionales et tout ce qu'elles véhiculent de mémoire collective et de savoir émotionnel. Cela doit commencer par sa propre région et conduire à la communication avec les autres régions.

Thèse 3

Quelqu'un qui traverse le Rhin à Karlsruhe pourra peut-être se rendre compte que les arbres qui bordent les routes subissent chaque année une taille radicale au grand dam de l'observateur allemand. En de ça du Rhin ils semblent pouvoir grandir et s'en donner à cœur joie. Les cantonniers français pulvérisent avec soin, voire avec passion, le désherbant le long des routes : horreur pour les Allemands, qui se mettent à débattre sur l'éthique de l'environnement. Inversement les Français sont choqués lorsque d'autres européens coupent mal le fromage. Il existe autant d'exemples de ce genre que de caricatures et de préjugés sur chacun des pays européens : Les Anglais sont petit-bourgeois, les Allemands militaristes, les Ecossais, avares, les Espagnols, orgueilleux, les Italiens, chaotiques, etc. La plupart des Européens sont inconscients de leurs particularités, ils les vivent sans les comprendre. On ne prend conscience de son " être autrement " que lorsque surgissent des frictions avec d'autres cultures. Ne sommes-nous pas, pourtant, tous des étrangers - presque partout? Nous grandissons au sein de nos cultures respectives de façon inconsciente, et avons du mal à nous imaginer que des êtres grandissant dans d'autres cultures puissent être différents de nous. Nous sommes " étrangers à nous mêmes " comme le dit Julia Kristeva.

C'est dans le domaine de l'éducation et de la formation que cela se fait le plus sentir. Ici, les traditions vécues existentiellement, traditions et usages dont beaucoup prennent racines dans la religion et les conditions de vie sont transmises la plupart du temps de façon irréfléchie. Il existe ainsi, dans les régions d'Europe une grande variété dans l'acceptation ou le refus du corps, dans la proximité et distance physiques, dans la prise en compte de l'âge, dans la sociabilité et dans l'expression de la sexualité. Tous ces éléments déterminent chaque groupe jusque dans son éthique et ses objectifs éducatifs, conscient et inconscients. Il est évident que le marché sera profondément influencé par ces données. Quiconque a lu l'œuvre de Max Weber sur l'éthique du protestantisme en est persuadé et remet fortement en question une conception technologique du marketing.

Le marketing de la culture ne peut pas être uniforme dans toute l'Europe, mais nécessite une assise solide que confère l'étude approfondie des cultures et des mentalités régionales. Chaque marché en recevra son visage particulier. Un marketing de la culture adéquat nécessite une connaissance approfondie de sa propre culture et la rencontre avec d'autres cultures. Le marketing de la culture nécessite le " principe du dialogue "
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Et maintenant, après ces réflexions, un petit clin d'œil à l'adresse de notre projet européen : Nous pouvons nous sentir confortés dans notre démarche. C'est à cela justement que nous tendons : nous nous rencontrons dans quatre régions différentes, allons découvrir beaucoup de choses nouvelles, pratiquer le dialogue et élaborer la coopération. Par la suite nous pourrons mieux nous comprendre nous-mêmes. Nous allons ensemble dessiner un nouveau concept de marketing européen de la culture.

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